Les Fleurs Du Mal
Charles Baudelaire (1857)
Translations by Jocilynn Colombo (2024)
Les Fleurs Du Mal - Félix Bracquemond (1857)
Correspondances
La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
II est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
— Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,
Ayant l'expansion des choses infinies,
Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.
Correspondences
Nature is a temple of living pillars
Give a voice to confusing words;
The man goes through the forest of symbols
Which observes him knowingly.
Like extended echoes merging from the distance
In a unity dark and profound,
Vast like the night, like the light,
Perfumes, colors and sounds respond to one another.
There are perfumes cold like the flesh of children,
Soft like oboes, green like a prairie,
While others are corrupt, rich and triumphant,
Having the means of expanding into infinity.
Like amber, benzoin and incense,
Who sing to transport the spirit and senses.
L’Ennemi
Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage,
Traversé çà et là par de brillants soleils;
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,
Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.
Voilà que j'ai touché l'automne des idées,
Et qu'il faut employer la pelle et les râteaux
Pour rassembler à neuf les terres inondées,
Où l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux.
Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve
Trouveront dans ce sol lavé comme une grève
Le mystique aliment qui ferait leur vigueur?
— Ô douleur! ô douleur! Le Temps mange la vie,
Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le coeur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie!
The Enemy
My youth has been nothing but a dark thunderstorm,
Met, sometimes, by brilliant sunshine;
The thunder and rain has wreaked such havoc,
That my garden is left with very few fruits ripened.
I have reached the autumn of mind,
And I must use the shovel and the rakes
To put back together the flooded fields,
Where the water has dug holes as big as tombs.
And who knows whether the the new flowers that I dream of
Will find, in this washed up land
The nourishment to give them their vigor?
Oh pain, oh pain, time eats at life,
And the shadowy enemy gnaws at our hearts
Growing strong from the blood we lose.
Le Guignon
Pour soulever un poids si lourd,
Sisyphe, il faudrait ton courage!
Bien qu'on ait du coeur à l'ouvrage,
L'Art est long et le Temps est court.
Loin des sépultures célèbres,
Vers un cimetière isolé,
Mon coeur, comme un tambour voilé,
Va battant des marches funèbres.
— Maint joyau dort enseveli
Dans les ténèbres et l'oubli,
Bien loin des pioches et des sondes;
Mainte fleur épanche à regret
Son parfum doux comme un secret
Dans les solitudes profondes.
Misfortune
To lift a weight so heavy,
Sisyphus, it takes courage!
Although one puts heart into the work,
Art is long; time is short.
Far from famous graves,
Toward a cemetery of isolation,
My heart, akin to a veiled drum,
Beats a dead march.
Many jewels lay buried,
In darkness; in oblivion,
Far from being picked at;
Many flower bloom with regret
Their soft scent kept secret
In a profound solitude.